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L'Etoile Flamboyante

G

Des observateurs habiles ont toujours su trouver dans le ciel un formidable générateur de symboles : le Soleil, la Lune et les étoiles en sont peut-être les premiers. L’étoile à cinq branches est une forme particulière d’étoile, sans doute la plus employée dans un contexte initiatique et mystique, et ce dans plusieurs traditions différentes. L’étoile de la franc-maçonnerie peut ainsi avoir pour origine l’école pythagoricienne. Dans un contexte profane, elle symbolise le pouvoir, comme en témoignent les dizaines de drapeaux nationaux ou internationaux contenant ce symbole, du fanion européen à celui de l’ex-URSS. Dans un contexte sacré, elle revêt de multiples significations, mais ayant pour base la même origine et le même but, sur lesquels il est utile de s’interroger. En quoi l’Étoile Flamboyante, constitue-t-elle le symbole ultime du processus initiatique ? Après avoir énoncé les modalités de sa construction en rapport avec le nombre d’or, je tâcherai d’évoquer les éléments symboliques généraux rattachés au pentagramme et à l’Étoile Flamboyante; puis l’étude de la lettre G et de l’utilisation de l’étoile dans les contextes maçonnique, magique et alchimique précèderont mes propres interprétations.

La construction du pentagramme est en étroite relation avec le nombre d’or qui aurait été utilisé dès les Pythagoriciens arborant d’ailleurs comme emblème un pentagramme. Le nombre d’or, nombre irrationnel environ égal à 1.618, établit la « divine proportion » utilisée par les hommes, notamment artistes pour sa capacité à susciter une perfection esthétique ou sonore par exemple, mais que l’on retrouve surtout dans maints aspects de la nature. Si on considère trois points placés sur une droite, le nombre d’or correspond au rapport entre le segment le plus petit et le plus grand ; ce rapport est aussi égal à celui entre le segment le plus grand et le tout. Il est de tradition de tracer le pentagramme sans lever la main, c'est-à-dire en une fois, partant de la pointe supérieure pour retourner à cette même pointe, après deux chutes, deux remontées, et une phase stable. Ainsi, le processus est non seulement entier mais continu. Pour construire le pentagramme, on utilise seulement deux instruments : la règle et le compas. La manière la plus précise possible pour le tracer est d’établir dans un premier temps le rapport du nombre d’or sur un segment ; à partir de ce début de construction il est possible d’obtenir un rectangle. Et par un jeu de report de mesures, on trace le côté horizontal de l’étoile avant d’obtenir le sommet grâce à l’intersection de deux arcs de cercle, par le compas. Le pentagramme symbolise donc dans un premier temps l’harmonie universelle via l’utilisation du nombre d’or.

Voyons désormais quelques éléments généraux nécessaires à la compréhension de la symbolique du pentagramme et de l’Étoile Flamboyante. La symbolique du pentagramme tient d’abord de celle du chiffre cinq, celui de l’homme, de l’évolution verticale de la matière vers l’esprit. On peut penser bien sûr aux cinq éléments que sont la terre, le feu, l’air, l’eau et le cinquième, l’éther. Résumant ainsi les principes fondamentaux de l’univers nécessaires à la vie et à la conscience, le pentagramme devient quintessence. L’écart entre chaque pointe est de 72°, faisant écho au zodiaque. Le pentagramme est un symbole orientable : sommet vers le bord supérieur, il incarne le principe du Bien et avec l’homme de Vitruve réalisé par Léonard de Vinci, on s’aperçoit que l’Homme écartelé parfaitement proportionné selon le nombre d’or s’inscrit parfaitement dans le pentagramme. Le pentagramme devient ainsi le symbole de l’homme régénéré, synthèse de la divinité et de la bestialité que l’on retrouve dans l’interprétation de l’étoile dans le tarot; a contrario, orienté vers le bas –donc inversé-, il incarne la bestialité, le bouc satanique et malfaisant. Dans cette optique le pentagramme représente l’harmonie et l’équilibre des contraires, car il les synthétise. Eliphas Lévi y voit la « toute puissance » et l’ « autocratie intellectuelle ». La pointe de l’étoile correctement orientée, c’est la victoire de l’esprit intangible sur la matière.

Mais l’Étoile Flamboyante est un pentagramme tout à fait particulier; son flamboiement, souvent représenté par des flammes jaillissant d’entre l’espace qui sépare les pointes de l’étoile, l’en distingue. Elle irradie, illumine de l’intérieur, apportant un élément de connaissance universel, s’efforçant de construire une unité parfaite qui parfois vient entourer l’étoile sous la forme d’un cercle. L’Étoile Flamboyante devient ainsi symbole d’espoir, car elle écarte les Ténèbres à l’image de l’étoile des rois mages qui en plus d’éclairer, guide. La tradition judaïque fait d’ailleurs des étoiles une représentation des anges. Par opposition à l’hexagramme stable, le pentagramme est un symbole dynamique. L’étoile devient ainsi un processus, et non une fin en soi. Elle indique un chemin.

Il est souvent évoqué que sans la lettre « G » en son centre, l’Étoile ne serait pas flamboyante. Autrement dit, le « G » serait la cause du flamboiement intérieur de l’étoile. Bien qu’auparavant connue, Wirth situe son apparition dans la franc-maçonnerie française à partir de 1737. Beaucoup ont ainsi cherché à expliciter la présence de cette lettre au centre de l’étoile, d’en trouver le sens. Sont évoqués tous les noms commençant par la lettre « G », à commencer par les mots étrangers comme God ou Gott par exemple. Cependant cette interprétation ne tient pas compte de la prééminence du français à l’époque moderne. Il pourrait s’agir de Gloire, Grandeur, Géométrie, Gravitation, Géométrie, Génie, Gnose. La difficulté s’accroît lorsqu’on s’aperçoit que la lettre « G » avait auparavant la même valeur phonétique que la lettre « C ». Le nombre de possibilités devient ainsi de plus en plus important. Chacun possède son propre avis, mais l’énigme reste entière. Grammaire, Géométrie et surtout plus probablement Gnose, c'est-à-dire la connaissance portée par la lumière de l’Initiation peuvent chacun être à l’origine de cette lettre qui suscite l’interrogation.

L’Étoile Flamboyante est utilisée dans différents contextes initiatiques, en particulier dans la magie, l’alchimie et la franc-maçonnerie. Éliphas Lévi définit la magie comme la « science traditionnelle des secrets de la nature ». Pour en parler brièvement, la magie n’utilise pas l’Étoile Flamboyante à proprement parler mais plus souvent le pentagramme, qui, inscrit dans de nombreux cas dans un cercle, et prend toute sa puissance, selon son orientation « pouvant changer le caractère de toute l’opération ». Ainsi l’adepte peut utiliser le pentagramme de manière positive ou négative, selon son intention. Le principe de l’unité y est, tout comme dans la franc-maçonnerie, omniprésent : « un est dans un, tout est dans tout ». La place du pentagramme en magie est très importante : Éliphas Lévi y voit la « domination de l’esprit sur les éléments » et donc la matière, affirmation nécessaire à l’existence même de la magie et de ses effets. Il agit même comme un enchantement, « forçant les esprits à apparaître en songe ». Le pouvoir qu’exerce le pentagramme réside dans sa synthèse des « forces occultes de la nature ». Il ne s’agit pas d’un simple symbole, mais d’une clef pour agir sur les forces invisibles, qu’elles soient manifestées ou non; pour cette raison est mis en garde celui qui voudrait l’utiliser sans l’avoir compris.

L’alchimie accorde une place encore plus grande à l’Étoile Flamboyante. En effet elle y voit la quintessence, c'est-à-dire la réalisation du Grand-Œuvre, de la pierre philosophale. Dans cette optique, le Baron de Tschoudy la considère comme la représentation de la nature et l’assimile à un « souffle divin, feu central et universel qui vivifie tout ce qui existe ». D’ailleurs, une pomme, symbole de la connaissance du Bien et du Mal dans la tradition judéo-chrétienne, lorsqu’elle est coupée en deux, a ses pépins formant un pentagramme. La phrase du compagnon : « j’ai vu l’étoile flamboyante » pourrait se référer à une étape précise du processus alchimique visible sur le compost. La lettre « G » même se réfèrerait à l’initiale de la matière première nécessaire à la fabrication de la pierre philosophale.

Dans la franc-maçonnerie, l’étoile flamboyante comme le chiffre cinq font état du passage du grade d’apprenti à celui de compagnon. Cependant, un pentagramme dans lequel est inscrit l’ankh est déjà présent dans le cabinet de réflexion du futur apprenti ; durant le rituel d’initiation, le maître châtié est placé selon un pentagramme inversé et une fois initié, l’Étoile flamboie pour la première fois brièvement. L’étoile agit ainsi comme un guide montrant la lumière à l’initié. Elle le guide dans sa démarche. Le chiffre cinq est celui du compagnon âgé de cinq ans, s’exprimant par les cinq coups de maillet ; alors qu’au grade d’apprenti il a découvert le chiffre trois par la purification par les quatre éléments, le rituel de passage au grade de compagnon lui fait passer les cinq voyages intérieurs, à savoir la prise de conscience des cinq sens –la vue l’ouïe, le goût, l’odorat et le toucher-, des ordres d’architecture, des arts libéraux, des cinq philosophes dont le cinquième, Jésus, serait la synthèse et la quintessence des quatre autres –Solon, Socrate, Lycurgue, et Pythagore. L’allumage de l’Étoile est un élément capital du rituel du second degré. La phrase du compagnon « j’ai vu l’Étoile Flamboyante, je connais la lettre « G » » en révèle toute la portée symbolique.

Trois dirige la loge, cinq l’éclaire de la Connaissance. C’est ainsi qu’en tant que figure de l’Isis antique, l’Étoile Flamboyante rayonne à l’Orient, au-dessus de la chaire du Vénérable, parfois placée sur l’évangile de Jean. La configuration de la loge et la place des officiers fait aussi référence à cette Étoile, dont les pointes sont constituées par les cinq lumières de la loge, à savoir les deux surveillants, le secrétaire, l’orateur, et le sommet supérieur par le Vénérable ; le centre, assimilé alors à la lettre G, correspondrait au naos.

De mon point de vue, le pentagramme est un symbole opératif qui fait appel au Verbe dans son sens actif et qui, en plus de représenter les différentes forces de l’univers, permet de retrouver « le point central où tout est un ». C’est le chemin indiqué par la Lumière. L’étoile, en tant que guide, nous invite à nous diriger vers son centre pour y trouver ce qui est exprimé dans le rituel par la « béatitude infinie ». Il s’agit de se dégager des forces de l’univers en les synthétisant, comme l’est d’ailleurs un des buts profonds de l’emploi du pentagramme en tant que réunion des contraires. Ainsi réunies, elles ne peuvent plus s’exercer de manière autonome, mais de concert, en révélant la nature profonde de l’unité que l’on peut obtenir ou plutôt ressentir de manière profonde en faisant abstraction des sens tout autant qu’en faisant appel à la lumière éternelle du naos au centre de l’étoile constituée par les cinq lumières de la loge. En ce qui me concerne, la recherche de la signification de la lettre « G » représente en filigrane cette quête de l’absolu. La connaissance peut être la cause du flamboiement de l’étoile, par le feu de la transmission et de l’Initiation ; mais elle pourrait aussi être sa conséquence dans le sens où le chemin initiatique mène à ce centre. Le flou qui règne sur la lettre « G », même si celle-ci fait probablement référence au mot « Gnose », pourrait inviter l’adepte à se défaire des concepts et des formes pour retrouver une partie de la Lumière. L’Étoile est un symbole dynamique et actif ; cependant si l’on observe son centre, son mouvement est une parfaite illusion. La recherche de ce centre permet ainsi de s’affranchir progressivement de ce mouvement qui n’est en fait qu’un ensemble de changements incontrôlés, de causes et de conséquences sans fin. Rechercher le centre de l’Étoile c’est ainsi chercher l’origine du feu de l’Être à l’origine des formes et de la Vie. Le centre permet de rallier ce qui est divisé en son sein, par fusion consciente. La construction de l’étoile ne peut se réaliser que par l’emploi d’une proportion parfaite qui ne peut se faire sans la compréhension de l’équerre et du compas, lequel est indispensable pour tracer le sommet supérieur de l’étoile relié au divin.

C’est donc l’esprit qui se met en quête et qui, s’il choisit la bonne orientation, amène l’initié à se défaire de la bestialité de son état d’homme pour retrouver une partie de son habit divin. Car c’est la « divine proportion » qui crée l’Étoile Flamboyante de la même manière qu’elle est contenue dans plusieurs facettes des manifestations de la nature. C’est ainsi que l’Étoile Flamboyante, s’appuyant sur la force du pentagramme et le feu de l’initiation, matérialise le processus initiatique en lui-même. La magie, l’alchimie et bien sûr la franc-maçonnerie en font un élément fondamental, un symbole opératif permettant de semer et de faire vibrer le Verbe dans le but de guider vers la Lumière, vers le refus des vices et la pratique de la vertu. Plus que symbole c’est un véritable guide du processus initiatique.

Bibliographie

  • BAYARD, Jean-Pierre. Symbolisme maçonnique traditionnel. Tome 1. Paris, Edimaf, 1982.

  • BOUCHER, Jules. La symbolique maçonnique. Paris, Dervy, 1998.

  • LEVI, Eliphas. Dogme et rituel de haute magie. Paris, 1930.

  • Rituels du Premier et du Deuxième Degré de l’Ordre Maçonnique Oriental du Rite Ancien et Primitif de Memphis-Misraïm.

  • TRESCASES, Jacques. L’étoile flamboyante. Vega, 2011, coll. « Pierre d’angle »

  • TSCHOUDY, baron de. L’étoile flamboyante ou la Société des Francs-Maçons Considérée

    sous tous ses aspects. Tome second. A l’Orient chez le silence, 1766.

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