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L'Hésychasme ou

la Prière du Coeur

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par FS

Moine Hésychaste

Parler de l’Hésychasme revient à évoquer un chemin de spiritualité sans compromission, sans conceptualisation dans un esprit de foi sincère et authentique. L’hésychasme également appelé Prière du coeur ou encore Prière de Jésus propose une voie opérative dont les origines remontent aux premiers temps du Christianisme primitif. Loin des techniques de transmutation complexes et des méthodes réservées à des élites intellectuelles, la Prière du Coeur représente une pratique de compréhension aisée mais nécessitant une persévérance et un travail d’une rigueur absolue. Dans la théorie et dans l'exercice, il faut travailler par la répétition, l'imprégnation du coeur et de l'esprit de la formule suivante: "Seigneur Jésus-Christ, ayez pitié de moi ". La formule peut comporter des variantes selon les pratiquants et peut être complétée ainsi : "Seigneur Jésus-Christ, fils de Dieu, ayez pitié de moi, pauvre pécheur".

Cette pratique spirituelle exclusive fut notamment révélée au grand public lors de la parution des « Récits d’un pèlerin russe » au XIX° siècle. Cet ouvrage présenté sous la forme d’un roman composé de plusieurs récits dont l’auteur resté anonyme, est attribué à un moine hésychaste du Mont Athos. Ce fut la révélation d’une pratique séculaire réservée jusqu’alors à de hauts initiés.

Cette réflexion se voulant un témoignage, aussi nous ne parlerons point de Isaac de Ninive, de Hésychius le Sinaïte ou encore de Théolepte de Philadelphie, tous des Hésychastes qui contribuèrent à la transmission à travers les âges de cette pratique chrétienne. Leur histoire ainsi que celle de tous les autres Maîtres Spirituels est largement détaillée dans la « Petite philocalie de la prière du coeur » ainsi que leurs enseignements.

Mais revenons à l’aspect opératif. Cette méthode s’apparente à un mantra tel qu’il en existe beaucoup dans les courants spirituels Hindouistes ou Boudhistes par exemple.

Il existe également le pendant de la prière du coeur en Islam Soufie. Cet enseignement se nomme le Dhikr dont la formulation est :  "La ilaha illallah" (Il n'y a pas d'autre Dieu qu’Allah). Si la formule est différente du fait de la langue et de la doctrine islamique, l'enseignement pratique demeure en tous points semblable.

La pratique de la prière du coeur ne fut pas l'apanage des seuls cercles religieux, puisque Louis-Claude de Saint-Martin en évoque la puissance dans ses écrits : La Prière du coeur selon Louis-Claude de Saint-Martin dit le Philosophe Inconnu.

Par cette répétition inlassable, le mental se trouve sollicité à chaque instant. Il ne peut donc plus prendre l’ascendant sur l'Être et sur son environnement. Ainsi, toute mentalisation et toute forme de conceptualisation sont stoppées afin de libérer la parole de l’esprit profond, c’est à dire de l’âme, ce témoin silencieux blotti au fond de l'Être, la source de toute vie et l’incarnation de l’intelligence et de la puissance universelle.

Dans notre monde temporel, les humains sont tous sujets à la structure ternaire : corps, esprit et âme. L’esprit incarné par le mental se trouve en état de mouvement permanent. Son activité est perpétuelle et accompagne à chaque instant les actions du corps. Seule la mort met un terme à son activité et sans doute dans une certaine mesure, le sommeil. Le duo corps et esprit évoluent dans l'espace au gré des connaissances acquises et des expériences cumulées depuis la naissance. Rajoutons à cela les formatages liés à la société, à l'éducation, à l'environnement, aux relations à autrui, à la culture et voilà l'homme transformé en parfait automate au champ de vision restreint. D'aucuns pensent que l’acquisition de connaissances intellectuelles permet la libération de ce joug du mental et de l’espace temporel. C’est là une erreur tragique, car les connaissances ne représentent qu’une accumulation de métaux virtuels qui sont bien souvent agités et exhibés tels des trophées permettant de valoriser les égos individuels. Bien sûr, les connaissances forment un terreau qui enrichit le raisonnement, la compréhension et qui permet d’ouvrir un chemin de réflexion menant vers cette modification de conscience tant espérée par le cherchant. Mais elles ne peuvent en aucun cas constituer la finalité du chemin initiatique. Elles n'incarnent que des outils permettant de ciseler le chemin de perfectionnement et de contrôler l’esprit qui en tant normal agit de manière désordonnée au gré de ses fantaisies et de ses subjectivités mentales temporelles.

Par la pratique, ce chemin ardu permet d'accéder au couronnement, à la révélation ultime : la modification de l’état de conscience et la rencontre avec le Divin. 

Cet état  de conscience modifié n’est pas conceptualisable par l’esprit. Le mental ne peut qu'en constater ses effets à fortiori. Il n’est même pas capable d’exprimer par des mots, fussent-ils par un vocabulaire élaboré et riche, les ressentis et tous les autres effets engendrés par cette modification de nature de la conscience. Est-il possible de décrire ce que l’on ressent quand on est mouillé ? Peut-on décrire le ressenti quand nous nous baignons dans une eau turquoise translucide, sur une plage de sable blanc avec des cocotiers et des poissons multicolores autour de soi ? Peut-on décrire le sentiment amoureux ? Peut-on décrire le ressenti de l’orgasme ? Et la liste ne s’arrête pas là, mais la réponse est toujours la même. Aucuns mots ne peuvent définir ces états car ils sont de conscience pure. Faouzi SKALI, enseignant à l’Ecole Normale Supérieure de Fès au Maroc dans son ouvrage La voie Soufie  nous dit : "Cette expérience ne peut être relatée à autrui. On ne peut qu’y faire allusion par des exemples et des allégories lointaines".

Il en est ainsi de cet état d’éveil recherché par tous les courants spiritualistes. La clé réside dans la pratique opérative. Il ne suffit pas d'en connaitre le principe pour que cela fonctionne. Il faut agir et travailler de manière continuelle et assidue. 

Comme précisé auparavant, le mental se doit être jugulé ainsi que le montre le serpent transpercé représenté sur le sceau de Cagliostro, ou encore le dragon terrassé par Saint-Michel ou par Saint-Georges. 

Pour déchiffrer les tenants et les aboutissants de la Prière du Coeur appelée également Prière de Jésus, il convient d’en faire une lecture à plusieurs niveaux. Nous avons déjà évoqué un premier aspect purement temporel qui consiste à occuper le mental en permanence afin de l’empêcher de partir dans des divagations intellectuelles conceptualisatrices qui sont autant de chaines aliénantes.

Analysons le début de cette formule: "Seigneur Jésus-Christ".

Par cette invocation, nous appelons l’être divin, l’étincelle divine qui se trouve au fond de chaque humain. Par la répétition incessante, nous tentons de le réveiller. Le mental ne sachant faire qu’une seule chose à la fois, il va peu à peu céder la place et laisser s’exprimer l’âme, ce témoin silencieux blotti dans la poitrine, au fond du coeur. Ce mental qui ne vit que par la conceptualisation pour la raison simple qu’il n’est pas éternel. Il disparaîtra en même temps que le corps. Son champ de vision est uniquement celui de son espace temporel et des connaissances qu’il aura acquises au gré de cette vie terrestre. Et celles-ci, fussent-elle importantes, ne représentent qu’une infime goutte d’eau dans l’étendue de la connaissance universelle. Or la mémoire universelle qui dépasse le temps et l’espace réside dans l’âme. L’esprit et l’âme sont ainsi comme deux rails d’une même ligne de chemin de fer qui suivent le même chemin, l’un influençant l’autre, sans jamais se rencontrer. Et puis vient un jour ou l’un s’arrête et l’autre continue dans l’éternité, au-delà de l’espace et du temps jusqu’à ce qu’un nouveau rail d’esprit viennent remplacer celui qui s’est arrêté un temps. Ainsi va le cheminement de la régénération des âmes, de la résurrection. Bien sûr, l’âme va s’enrichir des expériences temporelles de l’esprit, fussent-elles bonnes ou mauvaises. Mais quand l’un vit dans la conceptualisation entre le passé et le futur, l’autre, pour qui le temps n’existe pas, figure à l’instant présent, encore, toujours et invariablement. Par cet appel, Seigneur Jésus-Christ, nous appelons l’esprit divin à se réveiller et à se manifester dans notre vie consciente. Il s’agit d’un appel d’espoir empli de ferveur et de foi. L’espérance de la vision de l’étincelle divine doit animer ce cri. C’est un dialogue avec les forces éternelles enfouies au plus profond de notre Être, un appel au secours. C’est également un aveu de la faiblesse de notre condition humaine, un cri d’humilité et de reconnaissance de la puissance infinie de Dieu. Et quand soudain il apparait, nous ne le voyons pas car le mental ne peut pas le voir. Il ne peut que constater sa présence à fortiori. Quand il est là, nous nous trouvons dans cet état de conscience modifié totalement inexprimable par l’intellect. Aucune parole, aucun vocabulaire n’est en mesure de définir cet état hors du temps et de l’espace. Au-delà de la foi, ces expériences engendrent la Certitude. La Certitude de l’existence de cette puissance universelle dont nous pouvons faire notre allié pour guider nos pas, à condition de travailler et d’apprendre à lui parler avec respect et humilité dans un esprit de confiance absolue.

La seconde partie de la formule dit : « Ayez pitié de moi ». C’est un appel à la clémence, une demande de pardon inconditionnel. C’est également une reconnaissance des fautes commises, une prise de conscience de nos turpitudes et de nos faiblesses, l'aveu de notre infériorité face à la puissance divine. Au-delà, cela implique un lâcher-prise total. C’est un chemin d’humilité, de demande de pardon. C’est également la prise de conscience de l’infinie petitesse de notre Être terrestre empli d’ego et de certitudes.

La combinaison de ces deux formules représente toute la dualité de notre vie temporelle. La première partie étant une source d’espérance infinie et la seconde l’aveu de notre faiblesse humaine.

L’éveil évoqué par tant de philosophies diverses n’est donc rien d’autre qu’une prise de conscience par le travail et par l’expérience de la certitude de l’existence d’une puissance infinie source d’espoir et de pardon. L’esprit ne peut arriver à cela par la réflexion mentale. Seule la pratique opérative permet d’ouvrir ce chemin de conscience. 

Peu à peu, au fil de la pratique, le Christ s’éveille dans le coeur et la perception du monde temporel en demeure modifiée. Les symptômes sont divers et variés selon chaque pratiquant. Il n’existe pas de règle unique, ni absolue. 

Concernant cet éveil spirituel, les sages du passé mettent en garde contre toutes ces philosophies et pratiques séculaires qui consistent par exemple à ingérer des substances ou à se livrer à des pratiques ou à des rituélies qui ne sont que le fruit de spéculations intellectuelles denses et qui représentent autant de chemins de traverses qui de surcroit n’ont d’autre effet que de renforcer la puissance de l’esprit et non de l’âme. Il n’y a aucune transcendance par delà ces pratiques. De surcroit, la chute s’avère toujours douloureuse. 

Par cette prise de conscience issue de la pratique de la Prière de Jésus, les enseignements des textes sacrés prennent un sens différent et s’éclairent sous un jour nouveau avec un niveau de lecture et de compréhension supérieures. 

Evoquons un instant la pratique opérative. Bien évidemment, le simple fait de répéter cette courte phrase va déjà dans tous les cas permettre d’occuper le mental dans les moments ou celui-ci aurait tendance à divaguer dans les spéculations infinies des temps passés et futurs. Mais cela n’est point suffisant. Il convient d’être accompagné par un maître spirituel qui dispose d’une réelle expérience de la pratique hésychaste afin de vous aider dans ce chemin qui représente un art martial ou vous allez lutter contre une partie de vous-même pour finalement révéler la plus séduisante partie de votre Être. Au début, une méditation spécifique vous aidera à entrer dans la pratique avec une attention soutenue sur la respiration à laquelle vous pouvez associer progressivement la répétition de cette courte phrase. 

La première partie, « Seigneur Jésus-Christ », sera prononcée pendant l’inspiration alors que la seconde partie « Ayez pitié de moi » sera prononcée pendant l’expiration. 

L’inspiration représente le souffle de vie qui pénètre dans les poumons en apportant l’oxygène nécessaire aux fonctions vitales. L’expiration représente le rejet des éléments négatifs de notre être, la purification.

En travaillant de cette manière au cours de méditations pratiquées régulièrement et en prononçant les paroles à haute voix, peu à peu, la répétition deviendra automatique. 

Puis les pensées se porteront en même temps sur la région du coeur afin de visualiser l’âme, source de toute vie et de toute intelligence.

Ensuite, il convient de rester dans la pratique soit à haute voix, soit mentale, dans toutes les activités quotidiennes. Bien évidemment, au début, c’est plus difficile pendant une activité intellectuelle. Puis peu à peu, cela devient une seconde nature et la répétition de la prière de Jésus commence à faire partie intégrante de l’activité vitale.

Dans les enseignements, il est dit que si nous répétons le nom de Dieu pendant un nombre de fois égal à un centième du nombre de respirations pratiquées pendant une demi-journée (de midi à minuit), le royaume de Dieu apparaitra.

Ce chiffre correspond au nombre 108 soit le nombre de cases du pavé mosaïque. En effet, en moyenne nous respirons 10 800 fois en une demi-journée. Un centième représente bien le nombre 108. Et les carrés blancs et noirs du pavé mosaïque représentent symboliquement les deux aspects de la Prière du Coeur, l’espérance et le repentir.

Mais il ne faut pas arrêter le travail à ce simple chiffre puisque l’efficacité et la révélation viendront d’une répétition ininterrompue par milliers chaque jour jusqu’à ce que même la nuit, pendant le sommeil, la prière du coeur remplisse son office de manière automatique.

Les moines hésychastes pratiquent tout au long de la journée, durant leurs activités temporelles. Mais dès le réveil et avant le coucher, ils demeurent isolés dans leur chambre, assis sur un tabouret bas, le regard porté vers le nombril, égrenant la Prière de Jésus. Ainsi, le regard qui émane des yeux est une énergie qui rejoint celle du nombril auquel fut relié le cordon ombilical qui par généalogies successives nous relie à nos origines, à Eve, à la Materia Prima. Ce même cordon ombilical qui assurait l’alimentation et le développement de l’enfant en gestation. Voilà une autre source de réflexion qui nous mène entre autre vers une certaine vision de l’Ouroboros …

Nous terminerons ainsi ce court témoignage d’un enseignement qui représente une voie directe avec dans tous les cas une transmutation en finalité, une modification de l’état de conscience et de nombreux autres effets tous plus extraordinaires les uns que les autres à condition de travailler encore et toujours.

Celle-ci ne correspondra en rien à tout ce que le mental peut imaginer. Ce sera dans tous les cas différents et très certainement bien mieux que toute conceptualisation intellectuelle.

Alors, au-delà des connaissances, entrez dans le mode opératif en empruntant ce chemin qui mène au Divin, qui permet de toucher du bout des doigts l’infinie sagesse et la connaissance universelle. Mais cela n’est possible qu’au prix d’un travail permanent, constant et empreint d’une foi inébranlable et incommensurable.

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"Cherchez le royaume de Dieu et sa justice et tout le reste vous sera donné par surcroît".

Saint Matthieu 6, 24-34

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Hic et Nunc.

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FS

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